Société des jardins méditerranéens
Mediterranean Garden Society
Menaces sur l'olivier
par Brian Chatterton
La photographie en haut de cette page montre une oliveraie détruite par Xylella fastidiosa (Photo EC Europa)
Un nouveau fléau de l'olivier, Xylella fastidiosa (Xf dans le reste de cet article), a récemment été identifié en Italie dans la région des Pouilles mais il règne actuellement la plus grande confusion sur l'impact qu'il a effectivement provoqué. L'agence Bloomberg a présenté l'infestation comme la principale cause de la forte chute de la production d'huile en 2014 en Italie. Mais en réalité cette baisse a été causée par la mouche de l'olive qui est présente chez nous depuis aussi longtemps que l'on cultive l'olivier en Italie. L'épidémie de Xylella fastidiosa est extrêmement sérieuse dans une perspective de long terme mais son impact immédiat sur la production d'huile pour l'ensemble de l'Italie est négligeable. Les milliers d'hectares d'oliviers infectés peuvent sembler beaucoup mais, dans le contexte des millions d'hectares plantés d'oliviers en Italie, ils ne sont pas significatifs. La maladie est extrêmement sérieuse dans le long terme parce qu'il n'existe pas actuellement de remède connu. Si elle se répandait dans toute l'Italie, ce serait un désastre.
L'épidémie a commencé dans les Pouilles qui sont la plus ancienne région du bassin méditerranéen pour la culture de l'olivier. L'UNESCO a inscrit les oliviers les plus anciens au patrimoine de l'humanité. Des oliviers pluri-centenaires ont été individuellement identifiés et classés dans l'ensemble du bassin méditerranéen. Des dizaines de milliers d'entre eux ont été identifiés en Grèce et dans d'autres pays méditerranéens mais les Pouilles à elles seules possèdent plus d'un million de ces arbres classés. La maladie est pour l'instant confinée à la péninsule de Salento, mais l'ensemble des Pouilles et le reste de l'Italie est sous la menace.
Xf est une maladie bactérienne qui se transmet d'arbre à arbre par des insectes suceurs de sève. Le principale vecteur de la maladie dans les Pouilles est le cercope des prés (Philaenus spumarius). Les arbres infectés meurent rapidement parce que le xylème qui conduit la sève se trouve bloqué; la maladie porte parfois le nom de syndrome de la mort rapide de l'olivier (OQDS en anglais). Les bactéries du groupe Xf, il en existe plusieurs sortes, sont susceptibles d'infecter un large éventail d'arbres fruitiers incluant la vigne, les agrumes, les arbres à fruits à noyau aussi bien que les oliviers. Xf ne s'est pas attaqué à ces végétaux en Italie. Toutefois la maladie s'est attaquée dans ce pays à d'autres espèces que les oliviers, en particulier les amandiers et les lauriers-roses. La grande surprise a été que des chênes ont été infectés.
L'apparition de l'infection dans des chênes est très préoccupante. Il y a des millions d'hectares de forêts de chênes en Italie et si la maladie s'installe dans ces forêts non seulement elle causera des dommages aux chênaies mais encore elle constituera une réservoir permanent d'infection pour les vergers.
C'est dans la province de Lecce qu'ont été identifiés en 2013 les premières attaques et l'épidémie s'est propagée sur plusieurs milliers d'hectares. Tenter de contenir l'avance de la maladie à l'aide de d'insecticides ne semble pas être une méthode praticable bien qu'elle puisse avoir un certaine efficacité sur le court terme. Le principal insecticide utilisé contre l'insecte propagateur est de la famille des néocotinoïdes qui sont en train d'être interdits par l'Union Européenne à cause de leurs effets dévastateurs pour les hyménoptères. Bien sûr, la pollinisation des oliviers se fait par le vent et non par les abeilles; il est donc probable que le gouvernement italien obtiendra une exemption provisoire pendant une courte période mais il va falloir découvrir d'autres angles d'attaque.
Le "Corpo Forestale" (la police d'état des forêts créée en 1822 en Italie) détruit actuellement des arbres infectés mais pour que cette mesure produise des effets il faut que les agriculteurs reçoivent de généreuses compensations les incitant à déclarer les attaques sans délai. Des arbres sains devront être détruits autour des arbres infectés pour créer des zones tampons locales. Ce corps de police n'a pas les ressources nécessaires pour surveiller l'immense étendue d'oliviers dans la province des Pouilles et doit travailler en collaboration avec les agriculteurs. Ceux-ci doivent être fortement encouragés à déclarer rapidement leurs doutes et à ne pas attendre une hypothétique guérison. Les compensations financières pour les abattages doivent être généreuses mais elles doivent aussi être rapides. Il y a trente ans les compensations accordées aux exploitants d'oliveraies affectées par un gel intense en Italie centrale ont pris des années et des années pour être payées. Les autorités financières doivent comprendre que des paiements rapides et consistants sont le seul moyen d'éviter de très lourds remboursements dans l'avenir.
L'Union Européenne a déclaré l'interdiction de transférer les végétaux hors de l'espace infecté et a protégé cette zone par une seconde ceinture tampon et une troisième zone de surveillance. On peut voir sur cette carte que la zone infectée (en orange) est dans la péninsule de Salento mais qu'il s'est déjà produit une attaque qui a sauté la principale zone tampon (en vert sombre) dans la province de Brindisi. La zone de surveillance est en violet clair.
Nous nous trouvions dans la région de Salento en avril 2015 lors d'un déplacement organisé par la filiale italienne de la MGS et nous avons pu voir de nombreux arbres morts. J'ignore s'ils étaient victimes de Xf mais cela est fort probable. A l'époque nous n'étions pas au courant des mesures prises deux mois plus tôt par l'Union Européenne. Rien n'indiquait le long des routes ou par d'autres moyens que nous entrions dans la zone de surveillance ou la zone infectée.
En Australie, nous avons bénéficié d'une considérable expérience en matière de quarantaine et réussi à contenir la maladie des vignes (Phylloxera) hors de l'Etat d'Australie du Sud pendant plus d'un siècle. Les mesures prises consistent en de grands panneaux sur toutes les routes interdisant le transfert de végétaux et sur les principaux axes routiers les véhicules, camions et voitures, sont stoppés et fouillés. Pour que la quarantaine puisse produire des effets dans les Pouilles, les autorités devront certainement prendre des mesures draconiennes pour faire connaître les interdictions à la population et les faire respecter. L'éruption de Xf a été découverte en 2013, mais il est bien évident qu'elle a commencé plusieurs années auparavant. Il semble qu'elle se soit introduite grâce à l'importation de plantes ornementales en provenance d'Amérique du sud. Des lauriers-roses et de caféiers ornementaux du Costa Rica sont soupçonnés d'avoir été les principaux coupables. Il y a eu d'autres centres de contagion en Europe. L'un d'entre eux notamment à Paris: un caféier ornemental a été découvert sur un marché de banlieue. Paris n'est pas en région oléicole mais l'affaire ne prête pas à rire car Paris comme Londres regorgent d'oliviers ornementaux en pots. Il suffirait qu'un parisien ou un londonien décident de rapatrier leur olivier vers leur résidence d'été dans le Midi pour répandre la maladie. Un autre départ de contamination a été découvert en Corse où il y a 7 000 hectares de plantations d'oliviers. Le Xf a été découvert sur un polygale commun à feuille de myrte; pas un olivier, certes, mais il pourrait se répandre à d'autres végétaux et à des oliviers. Jusqu'à plus ample informé, la recherche a montré que cette variété de Xf ne s'attaque pas aux agrumes mais on attend les résultats des tests menés sur d'autres végétaux. L'Union Européenne se prépare à lancer une interdiction de l'importation de plantes ornementales de ce type. Bien sûr, ce serait une sage mesure dans le court terme mais il est grand temps qu'elle reconsidère l'ensemble de sa politique concernant la quarantaine des animaux et des végétaux. Autrefois la quarantaine camouflaient des mesures de protectionnisme d'état. Le balancier est reparti maintenant à l'autre extrême et les avocats du libre échange et de la mondialisation tiennent aujourd'hui le haut du pavé. Il n'y a pratiquement plus de mesures de quarantaine. Il est temps de revoir nos politiques et de reconsidérer nos besoins en termes bien plus stricts. Il ne suffit pas de déclarer que certaines plantes sont susceptibles de transmettre une maladie. Il faudrait aller plus loin et se demander si l'importation de tel ou tel végétal est réellement indispensable. Si la réponse est non, alors, il faudrait alors admettre que le jeu n'en vaut pas la chandelle. La plante peut transmettre une maladie encore non identifiée. Dans le cas qui nous occupe, l'Europe dispose déjà d'un très grand nombre de variétés de lauriers-roses. Je ne vois pas la nécessité d'en importer de nouvelles. Notre niveau de vie ne sera pas affecté si nous ne pouvons plus acheter de caféiers d'ornement. Il ne suffit pas de faire subir des tests de maladie à des végétaux. Tout le monde ignorait à l'époque que des caféiers pouvaient transmettre Xf ou que la variété de Xf qu'ils introduisaient allait se mettre à infecter les oliviers. Il nous faut accepter l'idée qu'il existe d'autres maladies inconnues qui pourraient se révéler tout aussi dommageables.
Il est grand temps que les agriculteurs et les jardiniers fassent entendre leur désapprobation du libre-échangisme intégral et obtiennent un degré de protection contre les maladies exotiques dans les plus brefs délais. L'idée que les oliviers ont pu grandir dans les Pouilles depuis plus de deux mille ans et qu'ils puissent maintenant être détruits comme victimes du libre échange constitue un terrible réquisitoire de la politique actuelle en matière commerciale et économique.
A l'heure actuelle, la seule réponse contre le Xf est la destruction des arbres infectés ainsi que celle des arbres environnants. Il est paru toutefois en septembre 2015 un article intéressant dans The Olive Oil Times. On y décrit un travail de recherche actuellement en cours à l'Université A & M du Texas sur une maladie imputable au Xf décelée sur la vigne. Les chercheurs ont mélangé 4 phages lesquels, ont-ils découvert, réduisent sensiblement les dégâts causés par Xf sur Vitis vinifiera.
Les phages (ou bactériophages) sont des virus qui attaquent les bactéries. On pense bien sûr à la comptine familière des enfants anglais:
Les grosses puces ont de petites puces
Qui leur piquent le dos,
Et celles-ci en sur le dos d'encore plus petites,
Et ainsi de suite.
"Ainsi de suite" est peut-être exagéré mais l'idée est valable. La plupart des organismes vecteurs de maladies sont eux-mêmes victimes d'autres organismes naturels. Nous avons découvert en Australie que les nouvelles maladies arrivent sur notre continent sans l'accompagnement de leurs ennemis biologiques et il nous a fallu retourner dans leurs pays d'origine pour y retrouver leurs prédateurs naturels. Le Xf qui s'attaque à la vigne ne semble pas s'attaquer à l'olivier; en conséquence, il faudra découvrir de nouvelles variétés de phages ainsi qu'une façon de les introduire dans les oliviers malades. Les chercheurs texans annoncent une simple réduction des infections et non une guérison définitive. Tout ceci prendra des années de sorte qu'en attendant il nous faudra accepter la destruction rapide des arbres infectés. Espérons que l'attente ne sera pas trop longue.
Le site xylellareport.it présente un point de vue différent de celui qui est proposé ici. On y déclare que les mesures prises jusqu'à présent sont trop extrêmes. Selon ce site, seuls 1,8% des arbres testés jusqu'à présent sont effectivement atteints par le Xf. Mais on ne dit pas si le 1,8% en question concerne les arbres qui présentent des signes de déclin ou si le pourcentage s'applique à tous les oliviers choisis au hasard. Le rapport de ce groupe insiste sur le fait que le principal problème est que ces oliviers ont été traités par trop de produits chimiques - les herbicides en particulier. Il est exact que lors de notre voyage dans les Pouilles avec la MGS nous avions remarqué à quel point l'utilisation d'herbicides autour des oliviers avait créé un désert écologique par un effet dévastateur sur la biologie du sol. On peut admettre l'argument de ce groupe concernant la dépendance aux produits chimiques et la mauvaise santé du sol, mais s'il s'avère que 1,8% des arbres testés se sont révélés positifs à Xf, ce chiffre peut tout de même être utilisé comme argument en faveur de la politique d'éradication. Si l'incidence est si faible, alors il y a une bonne chance que l'éradication soit la solution.
A propos de Brian Chatterton
Brian Chatterton a été exploitant agricole dans la vallée de Barossa, région viticole de l'état d'Australie du Sud (raisins de table, ovins, blé et également vins). Au début des années 1970, il a été élu au Parlement et a ensuite été nommé ministre de l'Agriculture du gouvernement de l'Australie du Sud. Il a pris sa retraite au début des années 1990 en Italie où il exerce des fonctions de consultant sur les problèmes agricoles et de gestion de l'eau pour des pays du sud-est asiatique et de l'Afrique du Nord. Brian et Lynn gèrent une petite exploitation de 200 oliviers en Ombrie et ils s'occupent également des 400 oliviers de leurs voisins italiens. Brian a écrit quantité de livres et d'articles sur l'olivier. Son dernier ouvrage ""Growing Olives for Quality Oil" a été publié par Pulcini Press en 2012.
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