Société des jardins méditerranéens
Mediterranean Garden Society

Les plantes dédiées à la ville de Montpellier

par Didier Morisot

La photographie en haut de cette page montre une vue de l'orangerie du Jardin des Plantes de Montpellier (Photo Wikipedia.fr)

De toutes celles portant le nom d'une localité précise, les plantes portant le nom de Montpellier sont les plus nombreuses, disait Louis Emberger. Il y a deux aspects à évoquer à propos des plantes dédiées à Montpellier. Le premier est la botanique. Ces plantes ne forment pas un ensemble homogène, ni du point de vue de la systématique, ni de ceux de l'écologie ou de la géographie. Le second aspect à prendre en considération est l'histoire de leur nomenclature. Ces plantes ne furent pas réellement baptisées d'emblée ensemble du nom de Montpellier et ne sont pas toutes restées sous ce nom. Mais ce qui est passionnant est de constater que pour une quinzaine d'entre elles, le rattachement à la terre de Montpellier s'est finalement imposé jusque dans la nomenclature moderne. Incontestablement, c'est un clin d'œil à l'Histoire puisqu'en réalité aucune de ces plantes n'est exclusivement montpelliéraine.


Aphyllanthes monspeliensis - photo Daniel Mathieu 

Le contexte historique
Certainement, il faut voir l'origine des noms de plantes dédiées à Montpellier dans l'attirance qu'exerçait la ville sur les premiers botanistes-médecins du seizième siècle. Ils ont été les premiers systématiciens, et nécessairement les initiateurs de la nomenclature botanique. Dans une lettre au roi Henri IV, Pierre Richer de Belleval justifia le choix de Montpellier pour y créer son Jardin en disant que la région était «la plus médicamenteuse de la terre». La flore de Montpellier était donc attirante. En même temps, officiait un professeur à la personnalité très joviale et aux immenses compétences: Guillaume Rondelet (1507-1566). En 1550, il fit rendre obligatoires les herborisations dans le cursus des études médicales. Ainsi, il mettait un terme au seul «rabâchage» des textes anciens. Dès lors, ses disciples, formés à l'école de l'observation, furent lâchés dans la Nature qui leur tendait la main aux portes de Montpellier. Ils  rencontrèrent les plantes méditerranéennes qu'ils n'avaient jamais vues et qu'ils crurent spéciales à Montpellier puisque la plupart d'entre eux venaient d'autres régions (Mathias de l'Obel était flamand, Jacques Daléchamps venait de Caen et Charles de L'Ecluse d'Arras). A une époque où tout était encore à décrire, il fallait qu'ils donnent des points d'ancrage à la nomenclature qui se cherchait encore. Ils trouvèrent de l'inspiration dans l'allusion aux grandes unités écologiques de la région montpelliéraine : la mer (maritima), les basses montagnes calcaires (montis calcaris, montana), et…Montpellier et ses alentours (monspeliensis).


Camphorosma monspeliaca - photo Daniel Mathieu 

La forme des anciens noms de plantes
Comme les autres plantes, celles dédiées à Montpellier avaient déjà au seizième siècle des noms pour la plupart de forme polynomiale. Ils pouvaient consister en une brève description morphologique de l'espèce, comme Ranunculus saxatilis magnoflore Magnol, aujourd'hui Ranunculus monspeliacus L. Parfois aussi, ils évoquaient l'écologie de l'espèce (Uva marina Monspeliensium Lobel, aujourd'hui Ranunculus monspeliacus L.), ou enfin mettaient en exergue tout autre caractère spécifique remarquable. A vrai dire, il se trouvait des appellations qui étaient de longueur intermédiaire entre le nom polynominal et la véritable description. Un exemple est: Periploca Monspeliaca foliis rotundioribus Tourn., devenue Cynanchum monspeliacum L. puis Cynanchum acutum L. De telles dénominations disaient déjà presque tout de la plante qu'elles désignaient!


Carduncellus monspeliensium - photo Christophe Bernier 

Il est frappant de constater que lorsque ces descriptions étaient particulièrement longues, les auteurs avaient tendance à placer en tête de phrase un binôme qui en constituait une forme de titre séparé du reste de la locution par une virgule. Ainsi, Joseph Pitton de Tournefort nomma le Cytise de Montpellier: Cytisus Monspessulanus, medicae folio, siliquis dense, congestis et villosis. On peut concevoir que dans de tels cas,le passage à la nomenclature binominale allait être simplifié. Enfin, il existait déjà avant Linné un certain nombre de noms binominaux, dont quelques uns déjà dédiés à Montpellier :

Ancien nom binominal

Nom binominal ultérieur

*Actuellement  H. cretica (L.) Dum.-Courset.

A partir de 1748, Carl von Linné généralisa la nomenclature binominale sur la base du lot de désignations anciennes. En 1753, il dédia 13 noms à Montpellier dans son Species Plantarum. Enfin, citons à part Polypogon monspeliensis (L.)Desf. qui est né binominal, René Louiche Desfontaines (1750-1831) étant un auteur post-linnéen.


Cistus monspeliensis - photo Christophe Bernier 

Les raisons de la dédicace
Nous venons de voir l'évolution de la forme des noms à travers les plantes nommées en l'honneur de Montpellier. Bien des remarques peuvent maintenant être faites sur le fond, c'est-à-dire sur la pertinence du choix de Montpellier pour les désigner. Mais voici d'abord quelques remarques d'ordre plus général. En Botanique, on réserve normalement la terminaison ensis à un endémisme assez étroit. Mais il existe d'autres formes de latinisation. Beaucoup d'auteurs ont utilisé la latinisation des territoires pour désigner leurs plantes. Le plus célèbre d'entre eux reste Alexis Jordan (1814-1897). Les montpelliéraines ont été nommées de 3 manières différentes (y compris leurs variations): monspeliaca (dans 28 noms), monspeliensis (dans 51 noms), monspessulana (dans 27 noms). Selon The International Plant Names Index, 2004, 106 taxa ont ainsi été associés à Montpellier. Actuellement, seulement 15 de ces noms restent valides. Notons que les terminaisons ac ou an sont des latinisations plus ou moins correctes inventées par les auteurs (S. Amigues et N. Vassas, communication personnelle).

Le cœur du problème vient du fait que Montpellier n'a pas l'exclusivité des plantes nommées en son honneur. Celles-ci ne sont même pas les plus répandues sur son territoire. Alors pourquoi de telles dédicaces? En ce qui concerne les auteurs anciens, nous avons vu qu'ils n'avaient que les moyens d'investigation et de transport (hommes et idées) de leur époque pour se faire une opinion sur la répartition des végétaux. Ils pouvaient aussi volontairement baptiser une plante peu fréquente mais trouvée à l'occasion à Montpellier. Concernant Linné maintenant, on a dit que ses inexactitudes étaient dues aux échantillons qu'il recevait de Montpellier de Boissier de Sauvages et dont les sites de récolte étaient vagues. Mais contrairement à ce que l'on croit, Linné ne valida pas systématiquement tous les vieux noms qui rattachaient des plantes à la ville du Sud. Voici quelques exemples dans lesquels Montpellier fut perdu :

Nom prélinnéen

Nom linnéen

Nom actuel

Inversement, des faits portent à croire que Linné attribua des plantes à Montpellier en seul hommage à la Science montpelliéraine personnalisée par Boissier de Sauvages. Les lettres dithyrambiques de Linné à son homologue montpelliérain en témoignent (Linné qualifia Sauvages de «dieu des médecins du globe»). Mais, selon Loret et Barrandon, 1876, Linné finit par douter de la surabondance exclusive de l'habitat montpelliérain (ou de l'idée exaltée qu'il s'en était faite) quand il retrouva les mêmes plantes dans la flore provençale de Gérard (1761). Mais il était trop tard. Le Species était écrit. Enfin, il est comique de remarquer que d'autres auteurs n'entendaient pas laisser passer autant de plantes dédiées à Montpellier. Ainsi le parisien Joseph Pitton de Tournefort nomma l'érable de Montpellier du nom (volontairement?) banal d'Acer trifolium !


Coris monspeliensis - photo Daniel Mathieu
 

Les plantes édiées à Montpellier sur le terrain
Pour juger du bien fondé de l'attribution des plantes à la ville du Languedoc, il faut examiner en premier ces espèces sur le critère de leur appartenance ou non à la flore méditerranéenne. Sur les 15 espèces retenues par la nomenclature actuelle, 12 sont d'affinité méditerranéenne, dont 5 espèces circumméditerranéennes (Coris, Teline, Polygala Acer et Trigonella) Parmi elles, c'est la Trigonelle qui peut s'éloigner le plus du Midi (région de Blois), suivie de l'Erable dont on connait des stations dans toute la moitié Sud de la France (par exemple à Rocamadour).

Une espèce est méditerranéenne asiatique (Camphorosma). Elle remonte jusqu'à environ 53°N à l'Est de la Russie (sous la forme d'une sous-espèce différente de la nôtre). Cinq espèces sont limitées à un territoire plus étroit : à l'Ouest de la Méditerranée pour Aphyllanthes, Carduncellus, Cirsium et Cistus et à l'Est pour Ranunculus (Provence et Italie). Trois espèces sont Sud européennes: Astragalus, Leucanthemum et Dianthus. C'est finalement cette dernière qui s'éloigne le plus de Montpellier et qui a été la plus critiquée pour cela (stations en Allemagne). Enfin une espèce est subcosmopolite: Polypogon. On peut donc déjà admettre que l'épithète «de Montpellier» n'est pas mal choisie en tant que symbole d'une aire dans l'ensemble centrée sur le midi.


Teline monspessulana - photo Michel Pourchet 

Rapprochons-nous à présent de Montpellier, dans un rayon d'environ 20 kilomètres.

Un mot sur la fréquence de ces plantes sur un seul exemple. Le ciste de Montpellier est finalement plutôt rare car il préfère les sols caillouteux. Mais pour se convaincre de la justesse de son nom, il faut aller admirer ses peuplements, quasi monospécifiques, couvrant des collines récemment incendiées sur la petite commune de Prades-le-Lez! Il ne manquait donc que le feu des pinèdes pour qu'il puisse retrouver une place majeure dans le paysage. C'est une des plantes les plus représentatives des montpelliéraines


Trigonella monspeliaca - photo Benoît Bock 

Conclusion
Les plantes dédiées à Montpellier forment un groupe historique qui rend hommage à la place de la ville dans l'avancée de la Botanique. Elles illustrent également la richesse exceptionnelle de sa flore. A ce titre, elles devraient être protégées des débats de nomenclature concernant leur seul nom d'espèce.

(Remerciements à Lionel Gamet qui m'a permis de consulter les reproductions des Icones de Richer de Belleval et à Anne-Marie Granier qui m'a procuré l'intégrale des lettres de Linné à Sauvages publiées).


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