Société des jardins méditerranéens
Mediterranean Garden Society

Restanques dans un jardin en Provence

par Kate Marcelin-Rice

La photographie en haut de cette page montre une oliveraie typique de Provence avec des restanques traditionnelles (Photo Eric Coffinet /Wikipedia)

Lou Capitani, petit mas de pierre calcaire de la région, se dresse au sommet d’une colline depuis au moins trois cents ans, et sans doute plus. Nous y vivons de manière permanente depuis un an et demi. A nos pieds un tapis de collines et de vallées se déroule aussi loin que le massif de la Sainte Baume. En arrivant là-haut, c’est cette vue à couper le souffle qui vous accueille, et nous n’en sommes encore rassasiés.

Mais tout aussi remarquables sont les affleurements de roches qui percent du sol et les rochers incorporés dans les murs de pierre sèche, les restanques, des terrasses qui encerclent la colline au dessus de notre maison. Certaines se sont effondrées, laissant la vigoureuse végétation envahir les monceaux de pierrailles. Les gens du lieu nous ont dit que tous les hommes avaient abandonné la terre au déclenchement de la Première Guerre Mondiale. Ils avaient renoncé à cultiver la vigne sur ces terrasses et les pins d’Alep l’avaient progressivement remplacée. A notre arrivée, la municipalité nous a obligé à faire couper quatre-vingt-dix neuf pins, et plus tard plusieurs autres, car ils étaient trop proches de la maison. Nous sommes classés en zone à risque pour les incendies de forêts, surtout à cause du Mistral, le fort vent du nord qui souffle fréquemment. Une autre mesure de prévention des incendies que nous impose la commune est de faire éclaircir régulièrement les sous-bois. C’est une tâche assez lourde car ici les « mauvaises herbes » sont épineuses et dures, très différentes de la luxuriante verdure des orties qui poussent en Angleterre. Viburnum tinus, Quercus coccifera, Smilax aspera, Coronilla juncea, l’asperge sauvage, le romarin aux fleurs bleu ciel et de temps en temps le Pistacia lentiscus : voilà quelques-unes des plantes des sous-bois qui ont envahi les terrasses abandonnées.


L’état des restanques avant la restauration

Sur les conseils de ma sœur, j’ai choisi d’utiliser des galets de rivière gris ou blancs comme mulch dans les quelques massifs qui entourent la maison. Le jardin s’en est trouvé instantanément plus harmonieux, étant donné qu’il faut s’armer de patience pour arriver à voir le résultat des plantations. Elle m’a recommandé aussi de mettre de plus gros galets ronds sous un vieux Pittosporum tobira  où rien ne semblait vouloir pousser. Je découvris plus tard que plusieurs petits cyclamens ont finalement accepté de s’installer là-dessous.

Il nous a fallu ensuite nous attaquer aux restanques, tâche bien entendu au-dessus de mes forces. Nous désirions trouver un artisan qui comprendrait nos goûts et rebâtirait de simples et belles terrasses en utilisant les pierres qui jonchent notre terrain. Grâce à des amis, nous avons trouvé un tel homme. Il s’agit de Fabien Dubost, compagnon du Tour de France. Ceci signifie qu’à partir de l’âge de quatorze ans il a parcouru la France en compagnie d’un maître-bâtisseur pour apprendre son métier pendant six ans, une vrai garantie d’expertise. Ce système de guilde existe en France depuis le moyen-âge.

Nous avons choisi de commencer par restaurer les terrasses les plus visibles et les plus proches de la maison. Après avoir réparti par gabarit un assortiment suffisant de pierres, Fabien a creusé dans les parties effondrées des vieilles murailles pour les y insérer. Il avait un assistant équipé d’une petite machine pour soulever les pierres les plus lourdes et transporter de la terre. Nous ne voulions pas utiliser les pierres plus plates, plus régulières qui sont utilisées aujourd’hui dans le bâtiment. Il se servait de la roche existante lorsqu’il tombait sur elle pour constituer la base ou l’intérieur du mur, plaçant les plus grosses pierres au fond, emplissant les interstices de pierres plus petites et de terre. Il collait les pierres entre elles avec de la boue ou de la terre lorsque c’était nécessaire. J’ai remarqué aussi qu’il plaçait des pierres un peu moins lourdes au sommet. Je me tenais derrière lui, arrachant les racines de smilax et les ronces que je découvrais.


Le début des travaux. Fabien et son assistant, aux commandes
de la machine qui facilite la manipulation des lourdes pierres

Les murs de pierre sèche sont construits sans ciment. Leur solidité est assurée par le poids, la forme, l’inertie et surtout la position de chaque pierre. Dans notre coin de Provence, le Var, la pierre c’est du calcaire. Les gens d’ici disent que l’utilisation de restanques pour éviter l’érosion des collines et faciliter la plantation et le drainage remonte au moins à mille ans. Nous venons récemment de découvrir que les terrasses derrière notre maison n’ont en fait jamais été plantées de vignes ; elles ont plutôt servi à la culture des fleurs, et principalement des œillets – ce qui fait immédiatement penser au Jean de Florette de Marcel Pagnol ; les films Jean de Florette et Manon des Sources ont été tournés dans les hautes collines sévères près d’Aubagne, pas très loin d’ici. Il existe un puits alimenté par un ruisseau souterrain, juste à côté de chez nous.

Mon ambition est de me réapproprier les trois ou quatre restanques du bas pour y planter le genre de végétaux qui prospèrent sur le sol pauvre, caillouteux et calcaire de la garrigue, et d’y ajouter quelques plantes méditerranéennes venues d’autres parties du monde au climat similaire.

Devant la première restanque pousse un Cistus albidus rose sauvage, auprès duquel nous avons placé quelques autres cistes. A l’automne je vais planter derrière eux un massif de Ceratostigma plumbaginoides. Sur le rebord de cette même terrasse, j’ai planté trois pieds de thym - Thymus vulgaris ‘Elspeth’, T. vulgaris and T. camphoratus –, deux Geranium sanguineum (l’un rose sombre, l’autre blanc), une Clematis cirrhosa, un Coleonema pulchrum, un Feijoa ou Acca sellowiana; il existait déjà là un chêne kermès d’un mètre de haut (Quercus coccifera), tout à fait étonnant avec un tronc nu et droit, que je taille régulièrement, de même qu’un beau pied de ciste à l’abondante floraison, lui aussi spontané.


La délicate mise en place des pierres

Sur la seconde restanque, j’ai planté un Rosmarinus officinalis de la variété rampante,  deux autres Geranium sanguineum, une Scabiosa cretica et une Aubretia deltoidea mauve. Un Arbutus unedo poussait déjà là et nous avons ajouté un Arbutus andrachne. J’ai aussi planté là un Thymus vulgaris, un Leucophyta brownii (syn. Calocephalus brownii), une Eremophila nivea, une Lavandula dentata var. candicans, deux Salvia candelabrum et deux Cineraria maritima. Du romarin sauvage pousse entre mes plantes, de même que la charmante Aphyllanthes monspeliensis (appelée en Occitan bragalou) dont les fleurs bleues se ferme l’après-midi.

Cette seconde restanque semblait finir de façon abrupte et j’ai donc demandé à Fabien de me prévoir une terrasse en pente. Il m’a parfaitement compris et il m’en a immédiatement proposé un dessin. Sur cette pente, pour mélanger les végétaux à feuillage gris et ceux à feuillage vert, j’ai planté un Ceanothus thyrsiflorus, un Leucophyta brownii et deux Lavandula angustifolia de chaque côté de Ruta graveolens. Plus haut, quelques Silene coronaria, (syn. Lychnis coronaria) qui j’espère vont se disséminer librement. Tout en haut de la pente, j’ai mis deux Globularia alypum. La pente descend jusqu’à un énorme rocher sous lequel j’ai planté plusieurs  Trachelium caeruleum (issus d’une bouture prélevée à Ostia Antica) ainsi que plusieurs Phlox subulata pour éclaircir le tout. Je rêvais d’un Rosa banksiae ‘Alba Plena’ qui cascaderait sur ce rocher. Ayant tenté d’en planter un qui n’avait pas pris, j’ai essayé à nouveau, le plaçant cette fois-ci à côté du rocher sur lequel je voulais le faire grimper. L’an dernier, il a attrapé l’oÏdium et j’ai dû le rabattre sévèrement. Je continue de le traiter au soufre. J’ai découvert une autre poche de terre à la surface d’un gros rocher voisin où j’ai éparpillé des crocus ; leurs feuilles commencent à pointer le nez.


Le résultat à la fin des travaux

L’an dernier j’ai mis un Hardenbergia violacea  au pied de la seconde restanque. A l’heure où j’écris ceci la plante est couverte de fleurs violettes. J’ai planté à côté des volubilis Ipomoea tricolor ‘Heavenly Blue’, qui sont couverts de trompettes bleues légèrement striées jusqu’à la mi-novembre, je compte semer plus de graines à nouveau ici. Sur la troisième  terrasse je n’ai jusqu’à présent planté qu’un seul arbuste – un Myrtus communis subsp. tarentina. En le mettant en place, j’ai été heureuse de découvrir deux genévriers.
Je suis persuadée que pour qu’un jardin soit réussi il faut qu’il possède un centre d’intérêt. Le nôtre en possède deux, le point de vue est le premier, les rochers et la pierre sont le second – la maison est construite avec ces mêmes pierres. J’ai mis un certain temps avant de comprendre ce que cela impliquait. La restauration des restanques est une priorité. Russell Page (dans The Education of a Gardener, p.97) dit : « J’ai toujours essayé de découvrir ce qui fait la spécificité du site pour ensuite en faire le thème principal du jardin ». Ainsi je plante pour souligner ces spécificités, pour amener la garrigue dans le jardin et pour étendre le jardin afin qu’il se fonde dans la garrigue.

Etant donné que le coût de la restauration des restanques est élevé nous reportons à l’an prochain celle des autres. J’avais pensé autrefois qu’une des restanques endommagées du bas pourrait être supprimée, offrant la plaisante alternative d’une pente aménagée et plantée ; pourtant, j’ai décidé que dans notre cas, cela ne fonctionnerait pas.

Des graines de Clematis cirrhosa, Globularia alypum, Hardenbergia violacea, Leucophyta brownii, Pistacia lentiscus, Ruta graveolens, Salvia candelabrum, Scabiosa cretica, Silene coronaria, Trachelium caeruleum and Viburnum tinus sont à votre disposition sur le site de la banque de graines de la MGS.

Fabien Dubost :  dubostfabien@gmail.com

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