Société des jardins méditerranéens
Mediterranean Garden Society

Arundo donax - La plante complète

par François Travert

La photographie en haut de cette page montre Arundo donax (Photo H Zell/Wikipedia)


Quelle vulgarité avec ses ostentatoires feuilles et ses chaumes prétentieux !

Quelle indésirable abritant le moustique et bloquant les ponts lorsque les crues arrachent ses pauvres rhizomes inutiles! Non vraiment, Arundo Donax n'est pas une sympathique graminée. Et pourtant ... elle est présente tout autour du bassin méditerranéen et partout où l'homme l'a emmené et où elle s'est acclimatée … Alors, opportuniste ou utile ?

La dernière fois que je suis allé en Grèce et sur les conseils de Sally Razelou, je suis allé sur l'île de Syros, où, pendant deux jours, j'ai arpenté Ermoupoli et ses alentours. Ermoupoli, ''capitale'' des Cyclades, est une cité à flanc de colline, avec un port à son pied, un ancien bastion, une place néoclassique, une source miraculeuse et des visions de cartes postales.

Les reliefs du paysage sont fabriqués par les montagnes et les collines. Quelques murets délimitent des zones de pâturage, nues de végétation en ce début Septembre. Il y a très peu d'arbres sur l'île à l'inverse de la rocaille qui est quasi-omniprésente.

Le seul élément vert que je pouvais distinguer sur l'île à cette période de l'année, hormis la verdure des jardins apparemment flamboyants de l'agence consulaire de France, c'était des masses de cette graminée imposante, avec son faux-semblant de bambou qu'est Arundo donax. Sinon, rien que des herbes sèches et des buissons dénudés. Dans le fond des vallons secs et le long des maigres cours d'eau, la plante formait des écrans denses et impénétrables, mais relativement étroits et bien contrôlés. Ils avaient été tressés en leur pied avec tout un tas de débris : branches,  câbles, tiges à béton, ce qui donnait une grande rigidité à la construction vivante. En d'autres endroits, des fagots denses de chaumes avaient été bloqués au pied des rangées d'Arundo et formaient de gros boudins  de tiges. On pouvait distinguer qu'au fil des inondations, pour pallier à l'érosion, on rajoutait une hauteur de fagot dans le fond des vallons. Peu à peu, le sol devait s'épaissir et la ligne d'Arundo devenait alors de plus en plus marquante dans le paysage cultivé des vallons secs de l'île. Ce blocage de la terre permettait de cultiver des légumes ou des céréales qui nécessitaient un sol profond, frais et bien drainé. Simple résultat de l'empirisme local ou vraie démarche agricole ? En tous cas, cette logique  de ne pas détruire cette graminée si envahissante mais plutôt de travailler avec elle et de la mettre à profit, révèle bien son utilité, voir son importance en tant que bien commun, d'autant plus que chacun peut facilement s'approprier ce végétal et le multiplier aisément.

Une chose est sûre : outre la valeur agricole d'une telle entreprise (celle de collecter les alluvions riches pour faire pousser ses légumes), le travail de tressage peut être vu comme une manière d'affirmer son droit du sol (on montre de plus en plus fortement sa limite de propriété). On rehausse sa haie d'Arundo avec un fagot de chaumes en même temps que l'on s'élève par rapport à celui qui est au dessous de nous. A ce stade, maitriser son petit enclos de jardin procure un sentiment de pouvoir. Le jardinier devient alors en quelque sorte un Seigneur au milieu de son royaume légumier. Cependant, l'existence des lignes perpendiculaires d'Arundo a aussi une utilité sans portée sociologique. Elles créent de véritables peignes, qui sont une aubaine pour la protection de l'environnement. Les tresses denses collectent toutes les cochonneries susceptibles de flotter lors du premier orage : plastiques de toutes formes, planches hors contexte et éventuellement cadavres d'animaux. Bien entendu, un des autres rôles primordiaux de ces lignes denses et solides, sur Syros, c'est de protéger contre le vent.

Beaucoup plus tard et très récemment, une envie de Méditerranée me prit en plein hiver. Je décidai de quitter mes collines enneigées du Massif Central pour aller discuter avec la Grande Bleue. Je me rendais sur le bord des lagunes du Roussillon où quelques flamants roses passaient l'hiver. Mais avant cela, l'autoroute m'amenait le long du canal du Midi et ponctuellement, des grosses masses vertes de feuillage faisaient leur apparition. A chaque fois, il semblait qu'Arundo Donax se comportait en grande opportune. Profitant de l'humidité, d'une zone délaissée ou d'un endroit sans utilité, la grande graminée s'imposait au lieu. Elle devenait presque une indésirable (surtout le long des champs cultivés ou elle était simplement broyée et brulée sur place).
Quel dommage, alors même qu'esthétiquement, un contraste fort naissait entre :

elle, avec ses grandes feuilles et ses couleurs glauques, et ... les amandiers, avec leur délicate floraison, leurs formes torturées et leurs branches noires.

Quel dommage aussi, parce que c'est une plante qui fait vraiment partie du paysage culturel du sud de la France... et pas que!
C'est en fait une plante aux multiples facettes qui, dans son unité de forme (feuilles tombantes et larges, chaumes rigides) recouvre bien des noms et des provenances.

Connue sous les noms de :

c'est en fait une plante originaire d'Asie (sans trop savoir d'où précisément. Des recherches génétiques sont en cours pour trouver la souche) qui s'est fort bien acclimatée. Il est fort probable que la plante ait été transportée par l'homme. Reste à savoir pourquoi et comment. En outre, la plante est tellement présente et depuis longtemps (plusieurs millénaires) à travers les zones méditerranéennes que :

Pour ma part, je pense à la première hypothèse. Tout a surement commencé par un geste séculaire répété le long de la Route de la Soie.

Un caravanier au milieu du désert du Kyzylkoum, cravache gentiment ses chameaux avec une tige d'Arundo.

La tige, devenue trop courte et trop frêle à force de taper, est jetée au bord de la piste.

Petit à petit, à mesure que les caravanes passent, le roseau se déplace et s'installe.

En tous cas, pour la poésie, cette hypothèse me plait.

En même temps, les usages de la plante aux rhizomes très puissants qui apprécie les sols frais mais bien drainés, sont très nombreux. Elle a été plantée par les égyptiens voilà des millénaires. Peut-être a-t-on par la suite reproduit l'intelligence des Égyptiens dans la Grèce ou la Rome antique, et planté de l'Arundo donax pour fabriquer du textile, embaumer les corps, … avant que la plante ne tombe en déchéance en même temps que ces grandes démocraties, a tel point de devenir une anonyme plante 'locale' à laquelle il fallait re-trouver une utilité. Son exotisme devenant trop lointain dans l'inconscient collectif, on a oublié d'où elle venait et elle est devenue banale et vulgaire (A titre d'anecdote, j'ai découvert très récemment que le pommier tel qu'on le cultive à travers le monde était originaire des collines du Kazakhstan. Moi qui pensait qu'il sortait de la souche 'Malus sylvestris' (autrefois 'vulgaris') de nos contrées...). 

Même si aux yeux de beaucoup de monde, Arundo est une plante parfaitement indigène, gardons en tête sa formidable répartition à travers le monde et ses usages nombreux. Je trouve que c'est une plante assez complète et forte utile.

Culturellement, dans le sud de la France, la 'Canne de Provence' a donné le mot 'Cannisse', qui définit une palissade fabriquée à base de demies-tiges d'Arundo donax reliées entre-elles par du fil de fer. Malheureusement, cette cannisse, trop chère à fabriquer, est supplantée par des ersatz à base de plastique vert bouteille. Ces éléments, qui ont la prétention de se substituer à une construction 'traditionnelle', ne sont mêmes pas fichus d'en reproduire la couleur. Ils ont quand même l'audace de se faire appeler canisse. Vous aurez remarqué qu'au passage, les produits en plastique ont perdu un 'n' (à voir les produits en vente sur internet). 'Canna' en latin, désigne bien le roseau. J'aurais préféré que la version en plastique s'appelle autrement.

N'oublions pas deux usages très glorieux :

Au jardin, Arundo donax, si elle est un peu contrôlée, devient une haie contre la vue ou contre le vent (travaillées, comme sur Syros, ou non travaillées, comme la plupart du temps en France). On peut aussi utiliser au jardin des variétés horticoles telles que Arundo donax 'Variegata' (Versicolor) ou A. donax 'Aureovariegata' qui sont des cultivars avec un feuillage vert rayé de jaune. De mon avis, il vaut mieux isoler ces cultivars de l'espèce-type, au risque de les prendre pour des chaumes malades... (C'est souvent le problème des cultivars : bon nombre ressemblent à des versions 'malades' des espèces type ou à des chimères de fond de pépinières, que le génial créateur croit bon de mettre dans un pot, de multiplier et de vendre...). Utilisons avec parcimonie Variegata et Aureovariegata, mais ne lésinons pas s'il s'agit de vouloir stabiliser les berges ou les talus. Quelle efficacité, ce système racinaire puissant et traçant!

Ces quelques usages ne doivent pas en faire oublier d'autres.

Dans les constructions traditionnelles (en terre crue notamment), les tiges, arrachées à des groupes monstrueux qui peuvent atteindre des dizaines d'hectares et être l'abri de nombreuses espèces animales, sont utilisées comme trame de bâtiment, pour tenir les plafonds ou servir de toiture. Une fois broyée, la plante, résistante car riche en silice, devient un liant de choix pour tenir les enduits. Mais que font les ayatollahs de l'éco-construction et du 'construire durable' ?  Il y a de l'argent à se faire! Il ne fait pas de doute qu'Arundo va bientôt débarquer de l'autre bout du Monde en version isolant bio ou ossature écologique !

Pourtant, réservons-lui un usage plus local, comme celui de la cuisine et du chauffage,  avec quelques tiges bien sèches, ramassées par les enfants sur le chemin de retour de l'école. Profitons-en avant que d'une manière plus contemporaine, la plante soit confirmée comme une source prometteuse de biomasse pour l'élaboration de bio-carburants ou pour la production de pâte à papier pour assouvir la soif de nos voitures et nos appétits de paperasse.

Moralité : physiquement (racines stabilisatrices, haies, anches), esthétiquement (jardins, écrans), biologiquement (la cachette des oiseaux), économiquement ou chimiquement (bio-carburant), sous toutes les formes (fraiche, sèche, broyée, entière, …) : la 'Canne de Provence' est une plante complète et formidable, qu'il convient d'utiliser là où elle est.

Un seul usage n'est pas possible : nourrir le bétail (la plante est toxique). Pourtant, il me semble avoir vu des chèvres et des moutons brouter des feuilles sur les bords du lac de Jabbul en Syrie, voilà quelques années. C'est que les temps y étaient déjà durs...

François Travert est architecte paysagiste. Il travaille en France, au sein de son agence 'Inermis', principalement sur des marchés publics d'aménagement de rues, de places et de zones récréatives.

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